Les Draps du peintre

Les Draps du peintre

Maryline Desbiolles

Language: French

Pages: 56

ISBN: 2020971321

Format: PDF / Kindle (mobi) / ePub


Rien ne le destinait à être peintre. Et ce rien, ce rien dont il sort, ce brouillard est peut-être ce qui lui a défendu de jamais s'établir, de jamais composer avec le monde que la peinture aurait dû révolutionner, comme il l'a cru un temps. Romanichel avant toute chose : celui qui l'attrapera n'est pas né. Plutôt que le retenir, tenter un pas de danse, inédit, avec lui.

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qu’en oubliant son nom je n’oublie pas le mien aussi, me rapprochant ainsi de lui incognito ?) ? Est-ce parce que en fin de compte aucun livre ne peut prendre sans histoire d’amour ? En décembre dernier, je loue une voiture pour traverser au sud de Paris les endroits où il a vécu et dont je connais les noms. Avant tout j’achète une carte Michelin de l’Essonne, Paris, Seine-et-Marne qui peu ou prou ont à voir avec les régions, écrites en grosses lettres grisées, de la Beauce, de la Brie, du

basses, à trente centimètres du macadam, pas plus, ce sont des maisons dans lesquelles on descend, et obscures des jours comme celui-ci, souvent, n’est-ce pas ? des maisons caves, des maisons ventres, et même un peu plus bas. Si je n’avais fait que passer en voiture, j’aurais dit que le bourg était gris, mais ce n’est pas vrai dès qu’on marche dans les rues, en se hâtant quand même un peu à cause de la pluie. Il y a d’abord les volets rouges, et pas loin le mur veiné de rouge, un rouge passé,

années 70, j’ai été témoin, d’un peu loin, d’un projet d’achat, par un grand musée français, d’une ou plusieurs de ses toiles de ces années-là, témoin, d’un peu loin, de la colère des conservateurs revenant de son atelier où il leur avait seulement montré des toiles qu’à l’évidence il venait de peindre, des copies faites par lui-même plus de vingt ans plus tard, un des conservateurs avait dit qu’il s’était sali en s’approchant de trop près d’une toile tant la peinture était fraîche encore, cela

vie, et où il est mort une nuit ou un petit matin, on ne sait pas, il était seul, bien entendu il était seul. Aller à Arcueil pour cacher que je ne sais pas, et pour voir quoi ? Le bâtiment industriel où il s’était à nouveau installé a déjà été vendu. Arcueil est le dernier campement, l’ultime halte, savait-il secrètement que la ville qui doit son nom aux arches du premier aqueduc romain serait le témoin ad hoc de l’ultime et grand passage ? Le périple minuscule est bouclé à deux kilomètres

le langage industriel, on dit d’un tourneur qu’il usine ses pièces. À l’instant où je l’écris, je suis frappée par la précision que requiert le métier de tourneur, et dont on pourrait le croire incapable lorsqu’on regarde sa peinture. Je viens justement d’étendre sur un mur de mon bureau une grande composition de carrés (de la toile de bâche, dirait-on) agrafés et collés les uns aux autres, mal ajustés, à la hâte, les carrés ne sont pas bien alignés, ça dépasse, il n’est pas question de la

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